Dans les décombres de l’immeuble qui s’est effondré sous la charge d’un baril d’explosifs, jeudi 4 juin à Hayyan, dans la campagne d’Alep, dans le nord-ouest de la Syrie, le père de la famille Hayek a vu toute l’horreur de la guerre. Le corps de son fils de 5 ans, Youssef, gisant sans vie, prisonnier entre un pan de béton et le reste du baril, maculé de sang et de poussière. Sur les images insoutenables filmées après le bombardement, le père du petit Youssef s’effondre de douleur, soutenu par des voisins. L’attaque a ravi l’ensemble de sa famille : son épouse, ses cinq enfants et deux des grands-parents.

L’armée du président Bachar Al-Assad a intensifié, au cours des derniers jours, sa campagne de bombardements aux barils d’explosifs contre les régions tenues par l’opposition, faisant des dizaines de victimes dans la seule région d’Alep. Jeudi 4 juin, six personnes ont été tuées dans un autre largage de barils explosifs par les hélicoptères de l’armée syrienne à Deir Jamal, au nord d’Alep, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Le 31 mai avait été la journée la plus meurtrière de l’année avec 80 personnes tuées par des barils d’explosifs dans la province d’Alep.

Dans une interview à la chaîne de télévision France 2, le 20 avril, le président Bachar Al-Assad avait une nouvelle fois nié l’existence de ces armements ainsi que le recours aux armes chimiques comme le chlore. « Que sont des barils d’explosifs ? », avait-il demandé, d’un air faussement naïf, au journaliste. La responsabilité du régime dans le largage de ces armes dévastatrices et aveugles est pourtant clairement établie, selon les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni, ainsi que les organisations des droits de l’homme. L’armée syrienne est la seule à disposer d’hélicoptères permettant de les larguer.

Ces bombes à la trajectoire imprévisible peuvent mettre à terre un immeuble entier. Non guidées, hautement explosives, elles sont fabriquées à peu de frais à partir de gros barils d’huile, de cylindres à gaz ou de réservoirs d’eau, vidés de leur contenu et remplis de puissants explosifs ainsi que de ferraille pour renforcer l’effet de fragmentation.

Onze mille morts sous les barils

Cette nouvelle vague de bombardements aux barils d’explosifs a été condamnée par le Conseil de sécurité des Nations unies, vendredi 5 juin. Dans un communiqué, le conseil dénonce « les attaques menées sans discernement, dont les bombardements aux barils d’explosifs, qui auraient été utilisés à grande échelle ces derniers jours ». La Russie, alliée du régime de Bachar Al-Assad, a rejoint les 14 autres pays du Conseil de sécurité pour condamner « toutes les violences contre des civils, des infrastructures civiles, y compris médicales ».

La veille, le directeur des opérations humanitaires de l’ONU John Ging a estimé à 3 600 le nombre de personnes tuées par ce type d’armement dans la seule province d’Alep depuis le début du conflit en Syrie, en mars 2011, qui a causé la mort de plus de 220 000 personnes. Les barils d’explosifs, dont l’usage a été systématisé par le régime dès 2012, ont fait plus de 11 000 morts dans l’ensemble du pays, selon l’organisation Amnesty international, laquelle, dans un rapport publié le 5 mai, a qualifié le bombardement indiscriminé de la province d’Alep par les forces gouvernementales syriennes de « crimes contre l’humanité ». Les photographies prises dans la ville montrent une population vivant sous terre pour échapper à la menace constante de ces bombes.

Les barils d’explosifs sont également utilisés de façon systématique contre les zones rebelles d’autres provinces comme Idlib (Nord) ou Deraa (Sud-Ouest). « Chaque jour ensoleillé est un jour endeuillé », témoignait au Monde en mars Jihad Al-Sbeih, chef des unités de la Défense civile syrienne (DCS) de la province de Deraa. « La coalition internationale, qui peut détecter les mouvements aériens [pourrait au moins] nous avertir quand un avion se dirige vers nous pour qu’on ait le temps de mettre les populations à l’abri », suggérait-il.

La Coalition nationale syrienne (CNS), principale force de l’opposition, s’est à nouveau indignée, jeudi, de l’inaction de la communauté internationale. « Sans l’immunité accordée par la Russie et la Chine et le honteux et injustifié silence international, Assad n’aurait pas pu massacrer les enfants syriens depuis maintenant plus de quatre ans. Le peuple syrien a perdu tout espoir d’une action morale et juste de la Russie ou de la Chine, mais sa plus grande déception vient des pays amis censés soutenir la liberté et les droits humains et qui ont préféré garder le silence et jouer les observateurs », regrette la CNS dans un communiqué. Elle réclame des armes antiaériennes pour combattre les avions de guerre de l’armée syrienne.

Source Le Monde.
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https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/06/06/la-mort-du-petit-youssef-symbole-de-l-horreur-des-barils-d-explosifs-du-regime-assad_4648908_3218.html