Angélique MOUNIER-KUHN

A l’origine, il y eut cette bande de gamins effrontés de Deraa, au sud-ouest de la Syrie, qui se crurent autorisés à tagger un slogan hostile à Bachar el-Assad sur un mur de leur ville. La Tunisie, l’Egypte et la Libye s’étaient soulevées, des tyrans étaient déjà tombés, ils pensaient l’heure des Syriens venue. Mal leur en a pris. Arrêtés, ils ont été torturés et incarcérés. Pour protester du calvaire de ces enfants, le 15 mars 2011, une poignée de vaillants manifestants se rassemblent à Deraa, d’autres auront le même courage quelques jours plus tard à Damas. Le feu de la révolte se propage d’un gouvernorat à l’autre.

Personne n’ignore la suite: la répression sans pitié des autorités, l’opposition qui prend les armes puis se radicalise face à la machine de mort déployée par le régime, l’ensemble de la région avalée dans le tourbillon de cette guerre, la montée en puissance de l’Etat islamique, et les errances de la communauté internationale. Jusqu’à l’impasse totale. Depuis précisément quatre ans, la Syrie s’abîme dans une guerre civile qui paraît, aujourd’hui plus encore qu’auparavant, ne pas pouvoir trouver d’issue.

Appréhender visuellement le désastre

Pour pallier l’impuissance des mots à rendre compte de la tragédie de ces vies saccagées par millions, le programme Unosat de l’institut de recherche onusien Unitar publiera le 18 mars prochain un document intitulé «Quatre années de souffrance humaine – Le conflit syrien analysé au travers des images satellite». L’organisation basée à Genève a partagé des extraits de ce rapport très documenté et financé par le gouvernement italien en avant-première avec «Le Temps». Prises avant et depuis le début du conflit, ces images satellite permettent d’appréhender visuellement l’étendue du désastre sur l’ensemble du territoire syrien, s’agissant aussi bien des destructions que des conséquences humanitaires qu’elles ont engendrées sur les civils pris au piège des affrontements.

«Un coût humain totalement inacceptable»

Les analyses aujourd’hui assemblées dans ce rapport ont été régulièrement mises à jour et transmises par l’Unosat au Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) en charge du suivi de l’application de la résolution 2139 du Conseil de sécurité (février 2014) sur l’accès de l’aide humanitaire en Syrie; elles ont aussi servi d’outils dans la planification et la construction de camps de réfugiés. «Ce rapport, souligne Einar Bjorgo, le directeur d’Unosat, est une contribution aux appels récurrents des Nations unies à une cessation des hostilités en Syrie et à la nécessité de trouver une solution politique à cette situation extrêmement complexe. Le coût humain en est totalement inacceptable comme l’illustrent clairement nos images satellite.»

«Nous avons démontré avec Unosat que ce type d’analyse est utile et parfois indispensable. Maintenant, nous songeons à trouver plus de moyens pour faire de la place onusienne à Genève le centre d’excellence pour l’analyse satellitaire dans l’humanitaire et la sécurité humaine», a déclaré Francesco Pisano, directeur de la recherche à l’Unitar.

L’espérance de vie en chute libre

De nombreuses autres organisations ont saisi le prétexte de ce triste anniversaire pour réactualiser leurs bilans chiffrés du conflit syrien. Particulièrement complète, l’étude que viennent de publier conjointement le Syrian Center for Policy Research et l’UNRWA (Office des Nations unies pour les réfugiés de Palestine) analyse les conséquences de la guerre. Sur le plan économique d’abord, elle chiffre à près de 400% la destruction du produit intérieur brut syrien depuis la fin de 2010, ce qui a fait bondir à 57,7% le taux de chômage. Plus dramatiques encore, les répercussions sociales donnent le vertige. D’après l’étude, l’espérance de vie à la naissance des Syriens s’est effondrée de 75,9 ans avant le conflit à 55,7 ans aujourd’hui. Plus de la moitié des 21 millions habitants que comptait le pays en 2010 ont été délogés, souligne cette étude. Sept millions d’entre eux sont déplacés à l’intérieur de la Syrie, 3,33 millions se sont réfugiés en Turquie, en Jordanie, au Liban ou en Irak et plus de 1,55 million de migrants, issus pour la plupart de la classe moyenne éduquée, se sont disséminés partout ailleurs dans le monde. A la fin de l’année dernière, 210 000 personnes avaient perdu la vie dans le conflit et 840 000 avaient été blessées.

Source : le temps

Voir l’article sur le temps.ch : https://www.letemps.ch/interactive/2015/syrie/