Alors que la Turquie menace le régime d’Assad d’une attaque imminente, l’exode des civils syriens en plein hiver est un enfer.

Ils n’ont pas eu le temps de terminer de creuser les puits pour pomper de l’eau, à peine celui de finir d’installer les sanitaires. Dans le sud-est de la province d’Idlib, la rapidité de l’avancée de l’armée syrienne, appuyée par l’aviation de son allié russe, les a pris de court. Pourtant, les bénévoles de l’ONG française SOS Syrie n’ont pas tardé quand la nouvelle offensive contre la dernière province rebelle du pays a démarré en décembre et qu’ils ont compris qu’ils devaient établir d’urgence un nouveau camp de déplacés.

Ils ont trouvé un terrain à ­Hazano, dans le nord de la province. Ils se sont dépêchés de terrasser la terre, d’étendre du gravier afin de prévenir la boue pendant cette période hivernale, de monter des murets en parpaings pour les toilettes et les douches, de dresser 200 tentes. Mais les premiers déplacés sont arrivés plus vite que prévu. Fin janvier, le régime et les Russes se sont emparés de la ville clé de Maarat en-Noman, dans le sud de la province, là où SOS Syrie gérait déjà un camp qu’il a fallu évacuer en catastrophe.

Près de 100.000 personnes dorment dehors et dans la neige

Combien sont-ils aujourd’hui dans ce nouveau camp? « On ne sait même pas, avoue le Dr ­Hassan El Abdullah, directeur de l’ONG. Les tentes sont pleines, des familles sont installées dehors dans les allées, et même à côté du camp, sous les arbres. Il y a quelques jours, il faisait – 8°C. » Dans la région, près de 100.000 personnes dorment dehors, et dans la neige ces jours derniers. Des enfants, dont le nombre est impossible à chiffrer précisément, sont morts de froid.

Depuis le début de la révolution en 2011 et la guerre civile qui a suivi, jamais autant de Syriens n’avaient dû fuir leur maison en si peu de temps. En trois mois, 900 000 personnes, dont la moitié d’enfants, sont parties sur les routes, direction le nord et l’ouest, vers la frontière turque. Ils fuient l’avancée du régime syrien, des Russes et des ­Iraniens, qui affirment combattre les djihadistes qui contrôlent la ­région. Dans les faits, l’armée syrienne et l’aviation russe bombardent tout et tout le monde, hôpitaux, écoles, infrastructures, habitations… Civils et rebelles. Alors que les habitants de la région ont résisté et subi la domination locale des groupes djihadistes.

« Il y a une telle escalade dans la brutalité… lâche Tue ­Jakobsen, ­directeur adjoint de Care en ­Turquie, coordinateur humanitaire pour la Syrie. À chaque nouvelle offensive contre des zones rebelles, comme à Alep-Est [en 2016] ou dans la plaine de la Ghouta, près de Damas [en 2018], on pense qu’on vit le ­moment le plus dramatique, mais le pire ­arrive après. Aujourd’hui, on a atteint le pire du pire. C’est l’apocalypse. »

La moitié de la population n’habite plus chez elle

La stratégie de Damas, mise en place dès le début de la guerre, est de pousser les habitants qui ne soutiennent pas le régime à partir. Réfugiés à l’étranger ou déplacés à l’intérieur du pays, la moitié des 23 millions d’habitants n’habitent déjà plus chez eux. Dans la région bombardée d’Idlib, d’ailleurs, sur les 3,5 millions de personnes qui y vivent, 2 millions viennent d’anciennes zones tenues par la rébellion et reprises par le régime lors de précédentes offensives. Aujourd’hui enfermées dans cette enclave, elles sont prises au piège. Fuyant sur des routes encombrées, sans savoir où se poser. « C’est un tsunami », poursuit Tue Jakobsen.

L’ONU a supplié la Turquie d’ouvrir sa frontière, mais Ankara, qui accueille déjà 3,6 millions de réfugiés, refuse. Surtout, le pays, qui soutient une partie des rebelles d’Idlib, menace d’une intervention pour repousser l’armée syrienne. Parmi la quinzaine de postes d’observation dont elle dispose pour surveiller la désescalade (conformément à l’accord de Sotchi de septembre 2018 entre les parties), certains sont aujourd’hui encerclés par des soldats syriens. Difficile pour les Turcs de se lancer dans une telle opération alors que l’espace aérien est contrôlé par les Russes.

Alors que les coups de fil diplomatiques se multipliaient depuis quelques jours, le président turc annonçait hier qu’un sommet aurait lieu le 5 mars avec les dirigeants russe, français, allemand et lui, pour faire arrêter les combats. « Il faut que la communauté internationale fasse réellement pression, insiste le représentant de Care. Même s’il y a un cessez-le-feu rapide, les conséquences de ces déplacements vont durer très longtemps. Ces 900 000 déplacés ne retourneront pas là où ils ­habitaient. Il faudra des mois pour que nous puissions les aider à trouver un minimum de situation stable. »