LE PLUS. Le mardi 27 janvier 2015, Amnesty International, la Ligue des droits de l’Homme et le R2seau Euro-MĂ©diterrannĂ©en organisent Ă Paris une rencontre avec cinq Syriens, militants des droits de l’homme. L’objectif ? TĂ©moigner de leurs vĂ©cus, mais aussi de celui de ceux qui sont enfermĂ©s dans les geĂ´les du rĂ©gime syrien. Annouar Al-Bunni est avocat, il fait partie de ces militants. RĂ©cit.
La situation des détenus est la plus grande question dans la Syrie actuelle. Et la souffrance des détenus est celle qui tue avec la plus grande acuité.
Des chiffres lourds, probablement sous-estimés
Hors des murs des prisons, nous avons toujours des choix pour apaiser nos souffrances, et nous disposons du soutien de ceux qui nous entourent. Le détenu, lui, n’a pas d’option. Il est seul et n’a d’autre possibilité que d’affronter celui qui se dresse face à lui, qui ne connaît ni l’indulgence, ni la miséricorde, qui lui inflige toutes sortes de tortures et de traitements qui défient ce que la conscience humaine peut concevoir. Il est impossible de se figurer la terrible condition humaine et physique des détenus, pour qui la mort apparait parfois comme la seule issue à la souffrance chaque jour renouvelée mille fois.
Les chiffres parlent d’eux-mĂªmes. Plus de 150.000 dĂ©tenus, dont moins de 30.000 ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s au tribunal antiterroriste et environ 20.000 Ă des tribunaux civils et militaires. Le sort de 100.000 autres personnes est inconnu, pour certaines depuis plus de trois ans.
Oui, les chiffres parlent d’eux-mĂªmes. Environ 20.000 victimes ont succombĂ© Ă la torture et aux traitements inhumains qui leur sont infligĂ©s par les autoritĂ©s. Pourtant, nous sommes convaincus qu’en rĂ©alitĂ© ce chiffre dĂ©passe les 50.000 victimes, convaincus que l’on ne distingue que la partie Ă©mergĂ©e de l’iceberg, que ce soit pour les chiffres, l’étendue de la torture ou le calvaire des dĂ©tenus.
Des morts qui n’intĂ©ressent personne
Les dĂ©tenus souffrent la première des douleurs. Ils souffrent une mort lente. Ils sont rĂ©duits Ă devenir des chiffres qui tĂ©moignent en silence de morts pour injustifiĂ©es qui ne retiennent l’attention de personne. Les chiffres sont froids, dĂ©nuĂ©s de sens pour le monde qui ne rĂ©flĂ©chit pas mĂªme une seconde Ă ce qu’ont subi et Ă que subissent les dĂ©tenus avant de devenir un chiffre parmi les autres.
Que pouvons-nous faire ? Que pouvons-nous faire face Ă un rĂ©gime qui, mĂªme devant les camĂ©ras et les mĂ©dias du monde entier, considère la mort comme un passe-temps, comme une vengeance contre un peuple qui a osĂ© souhaiter changer de vie. Lorsque le monde observe cette tragĂ©die, impassible, c’est comme s’il donnait son feu vert tacite pour que celle-ci perdure.
Il nous reste Ă crier
Si nous ne pouvons rien faire, nous pouvons au moins crier. Nous pouvons crier, le plus fort possible, et continuer de crier mĂªme lorsque nos voix seront Ă©raillĂ©es.
Car il y a peut-Ăªtre, quelque part, quelqu’un qui peut agir et que nos cris dĂ©rangeront, et qui agira alors. Non pas en dĂ©fense des dĂ©tenus ou au nom des droits humains qui, pour les dĂ©cideurs internationaux, sont devenus un simple slogan ou une marchandise qu’ils vendent et achètent selon leurs intĂ©rĂªts du moment, sans Ă©gard pour l’humanitĂ© de chacun, ni mĂªme envers leurs engagements internationaux. Pourtant, mĂªme si cette personne agissait simplement pour ne plus entendre nos cris, nous aurions obtenu quelque chose.
Il ne se passe pas un instant sans que je n’imagine la situation des dĂ©tenus, au contact desquels nous avons Ă©tĂ© lors de leur transfert des centres de dĂ©tention vers les tribunaux, sans que je ne pense Ă leurs tĂ©moignages sur leurs conditions de dĂ©tention et leurs souffrances, sans que je ne pense Ă tous ceux qui ont succombĂ© Ă la torture, Ă la faim, au froid, Ă©touffĂ©s ou morts suite Ă des maladies qui auraient pu Ăªtre soignĂ©es par un simple comprimĂ© que leur geĂ´liers leur ont refusĂ©.
Des noms qu’on n’oublie pas
Et il ne se passe pas un instant sans que je ne me rappelle les odeurs corporelles des détenus lorsque nous les présentions au tribunal, ces odeurs qui font fuir les juges et les fonctionnaires du tribunal au point qu’ils ne peuvent revenir dans la salle d’audience qu’en portant des masques sur le nez.
Il ne se passe pas un seul instant sans que je ne pense à mes amis disparus dans les geôles et dont jamais plus nous n’avons eu de nouvelles… Faeq… Abdelaziz, Maher, Ayas… Zaki, Mahyar… Adnan… et des centaines, des milliers, des dizaines des milliers d’autres.
Crions le plus fort possible. Si les détenus entendent nos voix, ils sauront au moins qu’ils ne sont pas seuls et ils cesseront de mourir en silence.
L’auteur sera Ă Paris avec quatre autres dĂ©fenseurs des droits humains ce 27 janvier. Une rencontre publique est organisĂ©e par Amnesty international. Plus d’informations ici et lĂ .
Source : Nouvel Obs